I Enfance de saint Martin
Saint Martin naquit de parents païens en 316 à Savaria, en Pannonie (nord-ouest de la Hongrie actuelle), sous le règne de Constantin Ier. Cette contrée appartenait à l'Empire romain depuis Tibère. C'est par le hasard du lieu de garnison de son père, tribun dans l'armée romaine (commandant de la Légion), qu'il naquit en Pannonie. Le prénom de Martinus, Petit Mars, dérivé de Mars, dieu de la guerre, était considéré comme un honneur dans les familles d'officiers, mais peu répandu à l'époque. Martin paraissait donc prédestiné, par sa naissance, à la carrière des armes. Lorsqu'il était petit enfant, la famille fut envoyée en Italie, à Pavie (Ticinum). La garnison se trouvait à quelques kilomètres de là, dans le faubourg sud, le Sicco Mario, une langue de terre d'alluvions au confluent du Tessin et du Pô. A dix ans, il fréquenta une église proche de chez lui, où il fut sensibilisé à la religion chrétienne, et sans la permission de ses parents, demanda à devenir catéchumène, sous l'impulsion de l'évêque Anasthase. Martin semblait déjà attiré par la solitude, qui le mènera plus tard à la vie monastique. Alors qu'il n'était qu'adolescent, l'Empereur Constantin imposa par une mesure exceptionnelle l'incorporation des fils de vétérans les plus jeunes pour augmenter l'effectif de ses troupes. A quinze ans, Martin fut donc enrôlé dans l'Armée, livré par son père, enchaîné captus et catenatus (Sulp, loc. sit.) et forcé de prêter serment à l'Empereur. Il servit d'abord dans des troupes d'adolescents préparatoires au métier militaire, puis fut affecté dans la cavalerie de la garde. Simple et généreux, il n'avait qu'un seul serviteur, Demetrius, qui l'accompagnait partout. Il mangeait avec lui, lui nettoyait ses chaussures…Il était aimé et respecté de tous.
II La Charité de Martin - Le songe et le baptême
Amiens, ville de garnison, était un lieu de communication stratégique entre la Bretagne, la Belgique et les Germanies. L'Empereur y envoya donc le corps de cavalerie. Martin occupait la fonction de circuitor : il était chargé de faire des rondes de nuit et des rapports sur les infractions à la discipline. Lors d'un hiver particulièrement rigoureux, un matin, devant la Porte des Jumeaux, Martin , rentrant d'une tournée d'inspection, rencontre un pauvre à moitié nu, implorant la pitié des passants. Le soldat, touché par la compassion, n'hésite pas : il sort son glaive, coupe en deux sa chlamyde, sorte de large cape rouge portée sur la cuirasse. Il en donne une moitié au mendiant, et se recouvre comme il peut de l'autre, sous les moqueries générales. La nuit suivante, Martin voit apparaître en songe le Christ revêtu de la moitié du manteau ; celui-ci, s'adressant à la foule des anges, leur dit : « Martin, encore catéchumène, m'a revêtu de cet habit ». Jésus se souvenait de la parole du Seigneur : « Tout ce que vous ferez à un de ces petits, c'est à moi que vous le ferez ». Bouleversé par cette vision, Martin décide aussitôt de se faire baptiser à Amiens. Cependant, il ne quitte pas immédiatement l'armée, pour rester auprès de son ami tribun qui veut s'engager au service de Dieu à la fin de son service. Il demeure encore deux ans au service de l'Empereur.
III Démission de l'armée
Des Barbares tentant d'envahir la Gaule romaine, l'armée se dirigea vers le Rhin. L'Empereur réunit ses soldats à Worms pour préparer l'attaque contre les Barbares. Il distribua à ses troupes le donativum, récompense destinée à encourager les soldats au combat. Martin profita de cette occasion pour demander son congé de l'armée. Il refusa la gratification, jugeant qu'il ne voulait pas faire la guerre. L'Empereur l'accusa alors d'avoir peur de combattre. Martin répondit : « Demain, je me tiendrai debout et sans armes, en face de nos ennemis ; je marcherai au milieu de leur armée, protégé uniquement par le signe de la croix ». L'Empereur le prit au mot, le fit arrêter et jeter en prison pour qu'il tienne sa promesse. Le lendemain, les ennemis se rendirent et l'Empereur l'autorisa à partir. Après tant d'années passées dans l'armée, il était enfin libre de devenir soldat du Christ !
IV Rencontre avec Hilaire
Martin se rendit alors à Trèves, où il se lia d'amitié avec l'Evêque Maximin, originaire de Poitiers. Il l'accompagna pendant quelques années lors de ses voyages. De retour de Rome, Maximin proposa à Martin de le suivre à Poitiers, pour revoir sa ville natale. Ainsi, Martin put-il rencontrer l'Evêque Hilaire, dont il avait tant entendu parler. Maximin mourut peu après à Poitiers. Hilaire fit de Martin son disciple, le forma et voulut lui conférer la charge de diacre, qu'il refusa par modestie. Il accepta seulement d'être exorciste, ce qui lui permit d'acquérir des facultés d'orateur et de témoigner bonté et générosité. Quelques années plus tard, il lui fut demandé en songe de se rendre dans sa patrie revoir ses parents plongés dans les ténèbres de l'idolâtrie. Il partit donc après avoir obtenu le consentement d'Hilaire, qui le supplia de revenir en pleurant.
V Retour en Pannonie
Il se dirigea vers les Alpes, avec l'intention de gagner la Pannonie par le Milanais. C'est en traversant les vallées alpines en direction d'Aoste qu'il s'égara et fut attaqué par des brigands. Ils essayèrent de le voler, mais ne trouvèrent rien. Alors, l'un d'eux, chargé de le garder et de le dépouiller, l'emmena à l'écart et lui demanda : « Qui es-tu ? » Martin répondit : « Je suis chrétien ». Le voleur lui demanda alors : « Est-ce que tu as peur ? », ce à quoi Martin répondit qu'il n'avait jamais eu autant de courage, mais qu'il plaignait surtout les brigands. Il se mit à lui expliquer l'Evangile. Le voleur le crut, le délivra et le remit sur la bonne route en le conjurant de prier pour lui. Tout se passa ensuite sans encombre jusqu'à Milan, où Martin s'arrêta très peu de temps. Continuant sa route, un soir, le Diable vint à sa rencontre sous la forme d'un homme et le prévint qu'il serait toujours sur son chemin. Martin lui répondit qu'il n'avait pas peur, parce qu'il était soutenu par le Seigneur. L'Esprit du Mal disparut alors. Martin parvint enfin en Pannonie, où il retrouva ses parents, qui s'étaient retirés à Savaria. Il parvint à convertir sa mère, mais son père persista dans son idolâtrie. Il convertit également certains de ses compatriotes. Il gagna ensuite l'Illyrie (ouest de la Slovénie et de la Croatie actuelles), ravagée par l'arianisme. Persécuté par les Ariens, battu de verges, il fut forcé de quitter la région, et gagna l'Italie. Martin n'avait qu'une hâte, retrouver Hilaire. Mais Hilaire était au même moment poursuivi lui aussi par la haine des Ariens, et il avait dû quitter Poitiers et partir en exil en Asie Mineure.
VI De Milan à Gallinaria
Reprenant le même chemin qu'à l'aller, Martin s'arrêta à Milan, et commença à y mener une vie d'ermite avec quelques disciples. Mais Auxence, l'évêque arien de Milan, persécuta Martin et le fit chasser de la ville. Martin s'enfuit avec un compagnon prêtre et s'isola sur une petite île de la côte ligure : Gallinaria (« l'île des petites poules »). Cette île, située face à Albenga, à près de 100kms au sud-ouest de Gènes, rivalisait avec le désert : là régnaient la solitude et le dénuement. Un jour, Martin s'empoisonna avec une plante vénéneuse, et échappa à la mort par la prière. Cette première expérience anachorétique s'acheva au moment où il apprit que l'exil d'Hilaire était terminé. Martin prit le chemin de Rome pour le rejoindre, mais son ami avait déjà repris la route de Poitiers.
VII Fondation du premier Monastère de la Gaule
Hilaire et Martin furent très heureux de se retrouver à Poitiers après tant d'années d'épreuves. Vers 360, aidé par Hilaire, il partit s'installer sur les bords du Clain, à 8 kilomètres au sud de Poitiers, à Ligugé. C'est ainsi que Martin fonda le premier Monastère de la Gaule. Ce couvent était à la fois un lieu de retraite et un centre apostolique qui unissait trois modes de vie : vie solitaire, vie communautaire et vie missionnaire. Martin et ses frères moines logeaient dans de petites cabanes, se rassemblaient pour prier ensemble à certaines heures. A d'autres moments, ils partaient annoncer l'Evangile en soignant les malades, en instruisant les enfants. C'est à cette époque de sa vie qu'il accepta de devenir prêtre. Il acquit une grande réputation de thaumaturge. Deux miracles extraordinaires sont rapportés par Sulpice Sévère : la résurrection d'un catéchumène et celle d'un esclave suicidé. Pendant l'absence de Martin, un jeune catéchumène du monastère de Ligugé mourut subitement sans avoir été baptisé. A son retour, deux ou trois jours après, Martin, très affligé, fit sortir tous les moines de la cellule où se trouvait le corps. Après s'être étendu sur le corps du frère défunt et s'être mis à prier deux heures durant, il vit le jeune homme remuer peu à peu ses membres et entrouvrir les yeux ! Les moines accoururent et découvrirent vivant celui qu'ils avaient laissé mort. Peu de temps après, il ressuscita par sa foi un pauvre serviteur qui s'était pendu. A partir de ce moment-là, le nom de Martin devint célèbre. Les malades et les malheureux affluèrent vers lui.
VIII Martin évêque
A la mort d'Hilaire en 367, les Poitevins n'avaient pas réussi à convaincre Martin de devenir leur évêque. Quelques années plus tard, à la mort de l'Evêque de Tours, les Tourangeaux durent inventer un subterfuge pour l'amener dans leur ville. Un certain Rusticius réussit à tirer le moine de son monastère poitevin en le priant de venir porter secours à sa femme prétendument. Martin consentit à quitter Ligugé. En chemin, il comprit qu'il s'agissait d'un complot, et qu'il avait été enlevé par les tourangeaux pour le conduire à Tours. Poussé par le flot du peuple, Martin fut entraîné vers la cathédrale de Tours, où tous l'acclamèrent, et déclarèrent unanimement : « Martin est le plus digne de l'épiscopat. Heureuse l'église qui aura un tel évêque. » Ce choix populaire se heurta cependant à l'opposition de certains, notamment Defensor, « Défenseur », l'Evêque d'Angers. Ils le décrivaient comme un homme «mal peigné, aux vêtements sales, à la mine pitoyable ». Mais les acclamations du peuple et l'avis des évêques favorables à Martin l'emportèrent sur toute opposition, et l'on commença les préparatifs du sacre. Au début de la cérémonie, le clerc chargé de lire les Psaumes n'avait pas pas pu traverser la foule pour gagner le chœur. Les prêtres s'impatientèrent, l'un des assistants prit le livre de psaumes et lut au hasard le premier passage qu'il trouva : « Tu as reçu des louanges de la bouche des enfants. Tu les places en face de tes adversaires pour détruire l'ennemi et le Défenseur ». A ces mots, le peuple acclama Martin, et ses opposants furent confondus. Martin fut donc élu évêque par la volonté de Dieu le dimanche 4 juillet 371. Devenu évêque, Martin chercha à conserver le plus possible son ancienne vie. Pendant quelque temps, il habita une petite cellule près de la Cathédrale. Mais il avait peu de repos, car les fidèles venaient sans cesse le trouver. Comme il n'arrivait pas à mener la vie monastique qu'il souhaitait, il chercha un lieu de retraite près de Tours, pour concilier les devoirs de sa charge pontificale et les exigences de l'état monastique. Quand il était à Tours pour remplir ses fonctions épiscopales, il s'était ménagé au sein de la cathédrale une cellule pour prier, méditer, et recevoir les pauvres. Un jour, alors qu'il allait célébrer une messe à la cathédrale, l'évêque, renouvelant le geste de la porte d'Amiens, revêtit un pauvre de sa tunique, et dut porter sous son aube une grossière tunique que l'archidiacre avait achetée quelques deniers pour célébrer la messe. Au moment de bénir l'autel, seuls un des prêtres et trois moines virent jaillir de la tête de Martin un globe de feu qui s'éleva dans les airs avec un rayonnement lumineux.
IX Marmoutier
Martin choisit un lieu solitaire et sauvage à 2km en amont de Tours, sur la rive droite de la Loire. C'est là que devait s'établir le grand Monastère de l'Evêque, Marmoutier. Là, il vécut dans une cabane en bois, puis dans une grotte, bientôt rejoint par quatre-vingt disciples venus se former, qui eux aussi, logeaient dans des grottes. Personne ne possédait rien en propre, tout était mis en commun. Les moines n'avaient pas le droit de commercer, le seul art exercé était celui de copiste, ils vivaient dans la solitude, qu'ils rompaient seulement pour prendre leurs repas et prier ensemble. Martin vivait comme ses disciples, il n'avait qu'un lit de cendres dans sa cellule.
X L'évangélisateur des campagnes
Parallèlement, à partir de 375, Martin commença son œuvre d'évangélisation des campagnes, d'abord en Touraine, puis dans toute la Gaule. Il circulait sans escorte, pauvrement vêtu. Il employait toujours la même méthode : destruction des temples païens et des idoles, construction d'une église ou d'un oratoire au même endroit, baptême des paysans et installation d'un prêtre à demeure parmi eux. Il coupait ainsi le paganisme à la racine, et rassemblait les nouveaux chrétiens en une paroisse. Un de ses tous premiers actes fut de détruire un temple païen en forme de pyramide à Amboise, pour en faire la première église rurale de la Touraine. Puis vinrent les paroisses de Langeais, Saunay, Chisseaux, Tournon Saint-Pierre et Candes-Saint-Martin. Un jour, après avoir détruit le temple d'un village, Martin voulut aussi détruire l'arbre sacré, un pin, que les gens du pays vénéraient comme une idole. Les villageois, qui avaient supporté la démolition de leur temple, protestèrent farouchement. Martin ne voulait pas en démordre. Un païen pensa alors l'effrayer en le défiant : « Si tu as quelque confiance en ce Dieu que tu dis adorer, nous couperons nous-mêmes cet arbre, à la condition que tu sois dessous pour le recevoir dans sa chute. Si ton Seigneur est avec toi, comme tu le prétends, tu échapperas. » Martin le prit au mot. Les païens se réjouirent à l'idée qu'il allait écraser leur adversaire ; Ils attachèrent Martin à l'arbre et commencèrent à le couper. Tandis que le pin s'inclinait peu à peu, les disciples de Martin assistaient à la scène avec terreur, ils avaient perdu toute espérance. Mais Martin, confiant dans le Seigneur, attendait avec courage. Soudain, au moment où l'arbre craquait et s'abattait sur lui, Martin leva la main vers lui et fit le signe de la croix ; comme si une tornade se levait tout à coup, l'arbre tomba de l'autre côté, et faillit même écraser les paysans qui se croyaient à l'abri. La foule poussa alors une immense clameur, les moines se mirent à pleurer de joie, et ils se mirent tous ensemble à louer d'une seule voix le nom du Christ. Se rendant de Tours à Chartres pour évangéliser la population, il s'arrêta à Vendôme. Là, une femme se précipita vers lui, son enfant mort dans les bras. Par ses prières, saint Martin ressuscita l'enfant qui fut baptisé sur le champ. Cette résurrection fut la troisième et dernière de saint Martin (deux lorsqu'il était moine, une lorsqu'il était évêque).
XI Martin en Gaule et en Europe
Mais Martin exerça également son action de missionnaire hors de la Touraine. Ses nombreux voyages le conduisirent dans toute la Gaule et en Europe. Martin se rendit une première fois à Trèves au début de son épiscopat pour demander une grâce à l'Empereur Valentinien 1er. Celui-ci avait une épouse arienne, l'Impératrice Justine, qui haïssait le catholicisme et ses défenseurs. Elle réussit à empêcher l'Empereur de le recevoir. Martin jeûna et pria alors jour et nuit pendant une semaine. Puis, il pénétra sans difficulté dans le palais jusque dans l'appartement de l'Empereur. Valentinien, furieux, ne se leva pas devant Martin, comme il en était l'usage devant les grands dignitaires de l'Eglise. Soudain, le feu se déclara dans la chambre, jusqu'au siège de Valentinien, qui fut obligé de se lever et de rendre à Martin l'honneur qui lui était dû. Effrayé par cet accident, et impressionné par Martin, il se jeta à son cou, l'embrassa et lui accorda tout ce qu'il désirait. Martin fut ensuite admis à la table de l'empereur et lui donna des conseils qui exercèrent une grande influence sur lui, puisqu'il protégea ensuite les catholiques malgré les suggestions de sa femme, sans pourtant persécuter les ariens. Le second voyage de Martin à Trèves l'amena dans la capitale des Gaules pour plaider la cause des évêques priscillanistes condamnés à mort par l'empereur Maxime et certains évêques pour hérésie. Au cours d'un dîner à la table de Maxime avec de grands dignitaires de la cour, Martin fut prié de s'asseoir auprès du souverain ; un prêtre qui l'accompagnait se trouvait également près de lui. Au milieu du repas, un serviteur apporta à l'empereur une coupe de vin qui devait circuler parmi les convives selon l'usage. Maxime n'y toucha pas, il la fit d'abord offrir à l'évêque afin de l'honorer. Tout le monde pensait qu'après avoir bu, Martin s'empresserait de rendre la coupe à l'empereur. Nul courtisan n'y eût manqué. Martin n'en fit rien. Il tendit la coupe à son humble compagnon, car il pensait que nulle dignité de la cour, pas même celle de l'empereur, ne pouvait rivaliser avec celle d'un simple prêtre. Maxime fut bouleversé de cette audace, il en félicita chaleureusement l'évêque et tous ses convives firent chorus avec lui. De plus, l'Impératrice Elena, fille de rois bretons, était fascinée par la sainteté de Martin, et le supplia d'accepter un dîner intime, afin d'écouter le sage et de le servir elle-même. Martin devint très populaire à Trèves, profitant de son séjour pour exercer son apostolat et ses bienfaits parmi les habitants de la ville. C'est ainsi que Martin crut obtenir de Maxime la grâce des condamnés. Mais, aussitôt après son départ, l'Empereur, qui avait un caractère faible, se ravisa, et les évêques priscillanistes furent exécutés. Martin se rendit une troisième fois à Trèves pour intervenir à nouveau, lorsque Maxime envoya en Espagne des juges chargés de rechercher, arrêter et exécuter les hérétiques. Horriblement gêné de revoir Martin après avoir manqué à sa promesse, Maxime lui refusa l'entrée de la ville s'il ne se décidait pas à se rallier à sa cause. Martin passa la nuit en prières dans la cathédrale de Trèves, et se représenta le lendemain au palais. Maxime n'osa pas lui refuser audience, mais ne voulut pas céder. Lors d'une seconde audience, l'Empereur, excité par les adversaires de Martin, lui ordonna de céder. Martin résista, et l'empereur, se retirant sans vouloir l'écouter, donna l'ordre d'envoyer les exécuteurs. Prévenu dans la nuit, Martin, violant toutes les règles, fit irruption dans le palais. Il promit à Maxime de communier avec les évêques persécuteurs si les priscillanistes étaient épargnés et les émissaires rappelés. Maxime consentit. Le lendemain, jour du sacre de l'Evêque Félix, Martin participa à la communion avec les évêques présents, bien que beaucoup fussent des persécuteurs des priscillanistes. Même s'il se réjouissait d'avoir sauvé de futures victimes, Martin ne se pardonnait pas d'avoir pactisé avec le parti de la violence. Le lendemain, il partit plein de remords. Sur le chemin du retour, dans un village près de Luxembourg aujourd'hui appelé Niederhanven, il s'arrêta dans la forêt pour méditer sur ces faiblesses. Un ange lui apparut alors et lui dit : « Tu as raison d'avoir des regrets, mais tu ne pouvais en sortir autrement. Reprends tes forces, rallume ton courage, de peur d'exposer, non plus ta gloire, mais ton salut éternel ». Déçu par l'attitude de nombreux évêques, il évita désormais les assemblées d'évêques et n'assista plus à aucun concile. A son retour, il passa par Paris, et son arrivée attira de grandes foules. Au moment où il franchissait la porte de la cité, avant de traverser la Seine au Pont au Change, il aperçut un lépreux à l'aspect repoussant. Il l'embrassa et le bénit ; aussitôt, le mal disparut. Dès le lendemain, il vint à l'église pour se convertir. En souvenir de cette guérison miraculeuse, on construisit une église et une abbaye : Saint-Martin-Des-Champs.
XII La mort de Martin
Le dernier acte de Martin fut encore un acte de réconciliation. Un jour, il apprit avec tristesse que les prêtres chargés de l'église de Candes se disputaient. Alors qu'il avait plus de quatre vingts ans et qu'il se sentait fatigué, il décida de se rendre dans sa communauté pour apaiser les querelles. Il parvint à les réconcilier, ce qui le réjouit. Mais il sentait ses forces le trahir. Il fit alors appeler ses moines et leur annonça qu'il allait partir. Tous accourraient avec inquiétude des abbayes de Marmoutier et de Ligugé, et même des moines de la région, auprès de leur père mourant. Ils s'assemblaient près de lui et pleuraient : « Pourquoi nous abandonnes-tu, Père ? ». Martin ne savait que faire, ne voulant ni abandonner ses frères, ni être plus longtemps séparé du Christ : « Seigneur, dit-il, si je suis encore nécessaire à votre peuple, je ne refuse pas le travail. Que votre volonté soit faite ! ». L'état de Martin empira peu à peu. Durant plusieurs jours, il fut en proie à une fièvre ardente. « Il passait les nuits en prières et en veilles, forçant ses membres épuisés à servir son âme, couché sur son beau lit de cendres et couvert d'un cilice…Ses disciples le priant de permettre que l'on glissât au moins sous lui de grossières couvertures ». « Il ne convient pas, dit-il, qu'un chrétien meure autrement que sur la cendre. Moi, si je vous laissais un autre exemple, j'aurais pêché. » Cependant, les yeux et les mains toujours tendus vers le ciel, l'âme invisible, il priait sans relâche. Des prêtres, qui étaient arrivés le soir, insistaient pour qu'il reposât son corps, en changeant de côté : « Laissez-moi regarder le ciel plutôt que la terre, pour mettre dès maintenant mon âme droit dans le chemin qui doit conduire au Seigneur ». Comme il venait de parler, il sentit la présence du démon et il l'apostropha : « Eh bien ! dit-il, pourquoi te tiens-tu ici, bête sanguinaire ? Tu ne trouveras rien en moi qui t'appartienne, maudit. Le sein d'Abraham s'ouvre qui va me recevoir ». En disant ces mots, il rendit l'âme. Des gens qui étaient là, raconte Sulpice Sévère, m'ont attesté qu'ils avaient vu alors son visage transfiguré, « comme le visage d'un ange ». Fraternellement unis auprès de la couche funèbre de Martin, les Poitevins et les Tourangeaux n'avaient cependant pas tout à fait les mêmes désirs. Les premiers ne pouvaient se consoler de ne pas avoir eu Martin comme évêque, et souhaitaient ardemment ramener le corps pour lui élever un tombeau dans leur ville. Ils étaient venus nombreux à Candes et montaient la garde auprès du corps. Mais les Tourangeaux ne désiraient pas moins conserver la dépouille de leur évêque. Ils profitèrent du sommeil des Poitevins pendant la nuit pour déjouer leur surveillance, ils descendirent le cercueil dans un bateau et le transportèrent sur la Loire jusqu'à Tours. Tout le long de son passage, les bords de la Loire se mirent à refleurir : c'est ce que l'on appelle « l'Eté de la Saint-Martin ». Le soir du 9 novembre 397,l'embarcation s'arrêta un peu en aval du vieux Tours gallo-romain, à hauteur de la région des cimetières. Tout le peuple était sorti de la ville et vint acclamer l'évêque défunt. On fit de grands préparatifs et, le 11 novembre, le cercueil de Martin fut mis en terre, devant une foule immense où l'on comptait deux mille moines et une multitude de chrétiens venus de toutes les régions voisines.